116.
A
DAY IN THE LIFE [THE
BEATLES]
Pour
la finale, le jury se composait du responsable de la communication du
label (un escogriffe
avec
une vilaine
tête à ne pas faire la différence entre une guitare électrique
vintage
et un fer à repasser
d'occasion
!), de Jean-William Toury (manager et auteur des textes de Bijou,
futur
collaborateur à Jukebox Magazine et Rock & Folk),
de Paul Alessandrini (rock-critic à Rock & Folk, écrivain et
photographe) et
de Théo Hakola (chanteur et guitariste d'Orchestre Rouge, puis de
Passion Fodder, écrivain
et homme
de théâtre). Ils
formaient une assez jolie brochette,
laquelle,
en de plus favorables circonstances, aurait davantage pu nous
émouvoir.
L'ordre
de passage des groupes fut tiré au sort et nous héritâmes du
numéro trois. Pourquoi
pas ? De toute façon, nous ne nous faisions plus d'illusions,
Richard ne viendrait plus, même si nous l'attendions jusqu'à la fin
des temps.
Je
n'ai toujours pas trouvé de mot pour décrire notre état... Des
ouïes
moins
troublées
par d’incessantes
déflagrations
électriques auraient pu entendre couler
une
pluie noire à l'intérieur de
nos corps meurtris.
No
Man's Band ouvrit le bal tragique. Si vous arrivez à imaginer
Suicide accompagné par trois jolies
violonistes
en furie, vous n'êtes pas loin du compte. Ils
auraient largement mérité d'enregistrer, mais je n'entendis plus
jamais parler d'eux.
Only
For Fans
donnait dans le psychédélisme à l'anglaise, avec guitares et
fringues millésimées, et
offrirent un set très
chic,
mais manquant d'un brin d'originalité.
En
vérité,
j'observais
le
spectacle
d'un
œil morne
et
les oreilles
tombantes
–
un
pied,
déjà,
dans
la tombe.
Des
larmes remplacèrent l'habituel discours d'Olympia. Nous nous
serrâmes les uns contre les autres, ivres de haine et de chagrin. On
aurait dit une vieille bande de Sioux déplumés
avant
l'ultime combat. Il ne manquait que les peintures de guerre.
Sans
un bonsoir, un merci ou
un mot entre les titres, nous expédiâmes nos cinq malheureuses
chansons
dans le mur de l'ultra violence. Si
j'avais su chanter comme
j'en avais toujours rêvé,
je crois que ça n'aurait rien changer à l'affaire : mes
textes, poussés
par le vacarme ambiant,
seraient sortis de la
même sale manière, éructés
comme
des insultes adressées à la terre entière. Je n'ai absolument
aucune idée de ce que cela pu donner, si
ce fut génial, acceptable
ou pathétique – et cela
n'a pas la moindre importance...
L'organisateur
nous attendait devant la loge et
nous
demanda de le suivre dans un bureau voisin.
«
Je suis désolé... J'ai entendu cette chanson, ce matin... C'est
pour ça que je suis arrivé en retard... Il
a du entrer en studio entre les
dates
du tremplin... Le
grand
patron
ne veut rien entendre... Le règlement, c'est le règlement... Vous
n'aviez pas le droit de jouer des chansons déjà enregistrées...
– Si
quelqu'un comprend quelque chose qu'il me fasse signe, demanda Cyril.
»
Alors,
l'organisateur
sortit
deux
disques
de sa sacoche
: un
simple
et
un
album.
Sur
les
deux
pochettes
s'exposait
en
gros plan la
trogne
immonde
du
« Monstre
» et
son
nom en lettres
capitales
: RICHARD
COXE.
L'organisateur
posa
le
disque
sur la
platine
du
bureau,
pendant
que
j'inspectais
le
verso
de
la
pochette.
Il
y
avait
là tous
les
titres
de
nos chansons,
ainsi
que
la
mention
: « auteur
&
compositeur
: Richard
Coxe
».
La
batterie
et les
percussions
avaient
été
remplacés
par
une
hideuse
boîte
à rythmes
claudicante,
la basse,
le
violoncelle
et la
trompette
par
de
vulgaires
nappes
de synthé,
et
s'il
restait
encore
une
guitare,
elle
miaulait
salement
dans
le
genre
hard
F.M.
du
plus
mauvais
goût.
La
voix
du
« Monstre
» était
mixée
des
kilomètres
devant
cette
soupe
infâme,
ce
qui
permettait
de
bien
entendre
mes
textes,
saccagés
puis rafistolés
à
grands
méchants
coups
de
rimes
téléphonés.
Quand
je
me
retournai
pour
voir
la
réaction
d'Olympia,
elle
avait
disparue.
Je
courus
hors
de
la
salle
et
la
vis
s’engouffrer
dans
un
taxi.
De
retour dans le bureau, le disque du « Monstre » tournait toujours,
mais tout le monde s'était volatilisé – comme par
désenchantement.
Voilà
les faits, exposés
dans toute leur froideur crasse,
parce
que la trahison, comme la mort ou la folie, est un plat qu'on nous
force à avaler congelé, à même la barquette puante.
Croyez bien que si j'avais pu y ajouter une once de sentiment, je ne
m'en serais pas privé, mais il y a des statues
qu'on ne peut faire danser, des émotions
qu'on
ne sait inventer.