lundi 5 décembre 2016

Pour la beauté du geste (feuilleton électrique) par Jimmy Jimi # 130


130. WORDS [NEIL YOUNG] 

   « Aucune femme d'écrivain ne comprendra jamais que son mari travaille quand il regarde par la fenêtre » écrivit le malicieux Burton Rascoe.
   Je m'interdis de jeter le moindre coup d’œil vers la baie vitrée, les fragrances océanes et les enceintes géantes sauraient bien patienter. Je n'avais nul besoin de chercher l'imagination au dehors, seulement de mettre mes souvenirs en bonne place. Oh, n'allez surtout pas vous méprendre en imaginant qu'il est plus facile d'écrire son autobiographie que de s'aventurer dans les couloirs fantômes d'un roman. Il faut très méticuleusement nettoyer le cerveau pour dégager le fossile désiré sans l'endommager. C'est un chantier d'envergure. Il est primordial de bien retrouver les couleurs des décors, de déboucher les flacons de parfums sans mélanger les notes de tête de celles de cœur, de rendre à chaque voix sa tonalité... La liste est impressionnante. 
   Cela ne prévient pas, mais, au détour d'une virgule ou entre les bras chaleureux d'une parenthèse, on s'aperçoit que les murs ont changé et qu'un étrange sosie vous observe, assis sur le lit de votre petite amoureuse ou fouillant négligemment un bac de disques. Bientôt, toute une troupe de lilliputiens, telles des ballerines échappées de boîtes à musique, se met à danser au milieu de vos feuillets (et des phrases entières leur coulent du nez) ! Oui, cela sent le bon bout, mais il est préférable de ne pas se laisser griser. En fait, il est nécessaire de se couper la cervelle en deux : la première partie pourra délirer à l'envi, pendant que la seconde, l'air de ne pas y toucher, se chargera de transposer pour que l'affaire tienne sur le papier. C'est un labeur de forçat qui peut rapidement vous faire tourner maboule. Chaque phrase doit jouir séparément avant de swinguer avec celle qui la précède comme avec la suivante. Ecrire, c'est accepter de diriger un orchestre symphonique, dans lequel des clones de soi-même tiendraient tous les instruments. Attention ! le moindre petit tintement de triangle de travers et tout est à recommencer.

   Quand on croit que c'est terminé, cela repart en fanfare spectorienne. Le café comme l'eau de la douche possédaient l'âcre goût de l'encre. L'amour, la musique, les mots : tout peut se transformer en drogue, quand on est né sous le signe de la passion. Je m'allongeai un moment sur le canapé, fermai les paupières, mais les paragraphes valsaient, twistaient, jerkaient ou pogotaient au fond de mes rétines sanguinolentes. La table de travail réclamait son homme telle une maîtresse inassouvie.  

   Le soir tomba, d'épuisement sans doute. Je m'offris un verre de cognac au frais de la B.I.D. (des gens qui savaient vivre !). Je n'avais pas écouté de disque depuis plus de vingt-quatre heures, cela ne m'était pas arrivé depuis je ne savais même plus combien de temps. Débarquer sur l'Ile Déserte avec des disques de second ordre pour, finalement, passer des journées sans musique, voilà qui pourrait m'offrir un chapitre intéressant si je parvenais jamais à pousser mes efforts jusque là.

                      

20 commentaires:

Anonyme a dit…

j'aime bien celui-ci !
j'veux dire le ton plus directement tourné vers la confession (mais avec le recul en prime, sans la mélancolie je dirais) ça passe très bien.

j'aurais (mais c'est perso, comme toujours) fait un chouilla plus long sur l'image d'excavation des fossiles :)

Jimmy Jimi a dit…

Hello Yggdralivre,
C'est ce qui m'est venu en essayant de me remettre en situation. J'aurais peut-être pu faire plus long ici ou là (éternelle histoire), mais je vous le livre comme je l'ai senti avec les coupes (ou pas) qui me sont venues.

Everett W. Gilles a dit…

Yo
C'est décidé, tu m'as convaincu : je n'écrirai jamais ma biographie !

Keith Michards a dit…

Rassure-moi : la B.I.D. n'est pas financée par nos impôts ? Parce que ça me ferait un peu mal au trou de balle que n'importe quel scribouillard puisse se rincer le gosier à mes frais !!!!! :-D
J'aime beaucoup le ton de ce chapitre. Il illustre bien le "travail" de l'artiste : jongler avec les mots, poser un do plutôt qu'un ré, une griffe d'ocre à la place d'un triste sépia… comme un Lego, en quelque sorte.

Audrey a dit…

Ah ce ton-là, qu'est-ce que je l'aime, quand les métaphore et les comparaisons fusent, giclent, se mélangent dans une symphonie aussi fragile qu'improbable. Avec tout ce savant chambard, tu arrives à dire et retranscrire ce qui aurait nécessité le double pour beaucoup d'autres, et parfois mieux. Avec toutes ces images qui se télescopent dans nos têtes, tu n'as même pas besoin de dire la choses, on les comprend.
Ce qui est curieux, c'est que derrière toute cette légèreté apparente, tu dis aussi des choses qui montrent que tu as déjà une certaine expérience avec l'écriture qui donne dimension tout à fait crédible à ton histoire.
Je préfère ce type de passage intimiste à ceux de la dépression et de la sa séparation du groupe. Je te trouve plus juste.
Histoire de savoir, tu vois encore combien de chapitres?

Arewenotmen? a dit…

Très beau texte en effet sur l'Ecriture... et ce ne sont pas quelques fautes d'orthographe qui vont gâcher l'impression d'avoir lu, pour moi en tout cas, ce que tu aura écrit de plus beau et plus profond. Un très beau moment en suspension. Et oui, l'Ecriture est un formidable sujet... d'écriture.

projectobject a dit…

@ Keith Michards

Bien sûr que oui... les impôts servent à quoi sinon

Dans les dernières nouvelles de ce jour... Loana se présente à la primaire de la droite et démissionne de Loft Story avec un respect hypocrite prononcé pour Vincent Castaldi

Elle a finalement tout compris de la TV Réalité

projectobject a dit…

@ Jimi

Euh... le smartphone est-il considéré comme une fenêtre??? Si oui, dans ce cas j'en connais un paquet de compagnes qui se font sauter ailleurs.

Ahahah.

Jimmy Jimi a dit…

Hello Everett,
Fais super gaffe car il paraît qu'il n'y a rien de pire qu'un paresseux qui se met au boulot!

Hi Keith,
Le Ministère de la Culture reçoit un budget spécialement alloué!
La ponctuation est également très importante. J'avais prévu un paragraphe, mais ça alourdissait l'ensemble.

Hola Audrey,
J'ai un avantage sur le narrateur, c'est que j'ai un peu pratiqué.
Je comprends que tu puisses avoir des préférences, mais chaque sujet impose plus ou moins son style.
Pour ce qui est de la longueur restante, je suis comme le narrateur, je ne fais jamais de plan. Il me reste à sortir de l'île, à aller en prison ou pas, à finir en beauté (j'espère), mais je ne sais absolument pas combien de chapitres cela va me prendre.

Hello Arewenotmen?,
Tu as raison, d'ailleurs Antonin Artaud a écrit son premier livre pour dire qu'il n'arrivait pas à écrire!
Peux-tu me souligner les fautes d'orthographe pour m'aider à progresser?

Hi Projectobject,
Mince, je pensais qu'on en était débarrassé, de celle-là!




Arewenotmen? a dit…

"J'avais nul besoin" : je n'avais...
"...n'allez surtout pas vous m'éprendre " : méprendre (mais la faute est jolie !)
"Il est primordiale" : primordial

... mais je me suis aperçu d'une fôte d'ortografe dans mon message précédent !

En fait, je ne te trouve jamais aussi bon que débarassé des contraintes de la narration (ce qui ne signifie pas que tu sois mauvais narrateur). Et pour moi, un écrivain (où un cinéaste) est celui qui sait faire vivre un monde au-delà de la narration. C'est précisément l'avantage essentiel de la Musique...

Jimmy Jimi a dit…

Hello Arewenotmen?,
Merci pour les corrections. J'ai beau me relire un grand nombre de fois, il y en a toujours qui passent entre les mailles - surtout parce que je n'arrive pas à me détacher de la valeur de la phrase pour consacrer une lecture uniquement dédiée à l'orthographe (et aussi parce que j'ai cessé l'école à 16 ans!).
J'ai débuté mon petit chemin littéraire par la poésie et la chanson et la narration n'est pas ce qui me passionne le plus. C'est parfois un boulet, mais il faut en passer par là quand on essaye de raconter une histoire!
Merci pour tes compliments, il me donne un supplément de courage.

Audrey a dit…

Il y a aussi celle-là: qu'un étrange sosie vous observe, assit sur le lit de votre petite amoureuse -> assis

Arewenotmen? a dit…

... Il y a des diplômés de l'enseignement supérieur qui font, hélas bien pire ! le mieux serait de faire relire à une autre personne, mais tu n'en as peut-être pas l'envie !

Jimmy Jimi a dit…

Merci Audrey.

Arewenotmen?,
Au contraire, mais je vais attendre d'avoir tout écrit et relu tranquillement.

DevantF a dit…

Comme d'habitude, je me demande toujours quel angle proposer comme commentaire, histoire de ne pas finir avec un texte à rallonge et vite fatigant.
Les commentaires des autres lecteurs m'influencent. Donc introspection et réflexion. Et je m'associe aux compliments sur les métaphores et les images qui virevoltent.
Alors laisse moi donner un avis contraire à ce que vous semblez "reprocher" à la narration, débat fréquent sur notre littérature, et je commence à comprendre ce qui éloigne nos écrivains des lecteurs du "monde". Pas de tort ou de raison il semble, juste des points de vue qui s'affrontent. L'avantage du lecteur est de chercher suivant son humeur... Mais la narration est de plus en plus abandonné en France, il me semble? En fait je n'ai pas perso assez lu pour le démontrer, mais je l'ai constaté dans mes lectures.
Un extrême: Hammet et sa "moisson Rouge" pas de portrait psychologique des personnages, pas de pause sous forme de réflexion (comme ici) et pourtant tout y est. La narration est tellement forte que la sous-titrer n'est pas nécessaire.
Pour revenir ici à ton roman. Voici un personnage fraîchement arrivé dans un lieu EXTRAORDINAIRE et qui passe rapidement à écrire sa bio?
Que lui est il arrivé pour que sa curiosité tombe si vite? Quelle force le pousse à écrire dans ces circonstances exceptionnelles alors qu'il aura tout le temps en prison? L'île est elle un mirage à plat quand ses souvenirs sont en relief? Passionnant mais finalement j'ai fait long. Sorry

Jimmy Jimi a dit…

Hello Devant,
Tout est possible et estimable si le lecteur s'y retrouve. Ce qui m'embarrasse dans la narration en tant qu'auteur, c'est qu'elle me pousse parfois vers des chemins sur lesquels je n'ai pas la place d'exprimer mon goût pour la poésie (au sens large du terme).
Pour le reste, je pense avoir les réponses à toutes tes interrogations. Déjà, le narrateur a rêvé de l'Ile Déserte pendant des années, mais a été contraint de la rejoindre sans les disques qu'il aurait du emporter. Il sait qu'il aura du temps en prison (il le dit, d'ailleurs), mais - et cela me semble plus que compréhensible -, il veut tracer les grandes lignes sous le grand ciel de la liberté. L'Ile n'est pas un mirage, c'est une vue de l'esprit (devenue un lieu commun) qui se transforme en réalité...

DevantF a dit…

C'est le risque à discuter avec l'auteur. En tant que lecteur il m'arrive souvent de réagir aux événements en oubliant parfois l'aspect fiction.
"Mais pourquoi il part pas explorer l’île..." "Pourquoi il regarde pas ce qu'il a en disque, avec des enceintes pareils, je passerai des journées à essayer ces disques et peut-être même en découvrir le charme" etc... Généralement le but n'est pas d'orienter l'auteur, juste réagir. Ici les commentaires ne profitent pas de cette étanchéité. un sentiment de lecteur reste un sentiment de lecteur. Ce n'est pas comme si nous avions soulevé une incohérence dans le récit.
Reste maintenant ce thème de poésie dans un roman. l'intériorisation est un moyen d'expression privilégié dans la littérature, ce que je raconte la haut. Un des rares qui a réussi à m'accrocher est Le Clezio. Mais généralement je suis plus à l'aise dans l'approche anglo-saxonne de l'écriture. Ce qui n'empêche pas de grand portrait. "Les Gens de Smiley" de Le carré en est un exemple, tu as des confrontation humaine, dialogue avec peu de mouvement, époustouflant. Mais pas de soulignement de l'auteur, une observation si fine que ce qui n'est pas écrit est énorme. Simenon aussi était très bon dans ses romans sans Maigret. J'ai l'air de me tourner vers beaucoup de polar, je m'en rends compte maintenant.

Jimmy Jimi a dit…

Le lecteur imagine, mais l'auteur aussi, et, parfois, des dizaines de chemins s'offrent à lui. Alors, il faut faire des choix. Ce ne sont pas toujours ceux que le lecteur aurait pris. Comme je l'ai écris, je ne fais pas de plan; je tourne tout ça dans ma tête avant de me lancer.
Personnellement, je ne parviens pas à classer les auteurs par pays (à l'exception, peut-être, des japonais et des russes). J'ai des périodes et puis je change de cape. Tout m'attire mais je navigue à vue...

Arewenotmen? a dit…

Si ma littérature russe t"intéresse (et comment ne me ferait-elle pas, si tu aimes la Littérature ?),je peux te diriger vers quelques fabuleuses découvertes personnelles Jimmy..

cabinoffear a dit…

Salut Jimmy,

Est-ce que tu publiera un jour une sorte d'anthologie, car les premiers volumes sont perdus pour le lecteur et j'avoue ne plus trop savoir, n'ayant suivi le feuilleton qu'épisodiquement...

Je ne sais pas ou tu veux aller, ça c'est le bon point!

Toorsch'